Universitaire à Luminy

À quelques pas du parc national des calanques, au sud de la cité phocéenne, le soleil brille plus de trois cents jours par an. Nous sommes sur le Campus universitaire de Luminy pour rencontrer Jade, une étudiante en master. Son email a bouleversé toute la rédaction. Avec son accord, nous avons décidé de diffuser ses mots et de les illustrer avec les photographies réalisées par Rv Dols lors de notre rencontre.

Université de Marseille
Photo Rv Dols

Jade : « Bonjour à l’oeilpaca, je ne sais pas pourquoi je vous écris, peut-être parce que ça me fait du bien, ou alors parce que je me fais croire que quelqu’un me lira. Cette année pourrie est enfin finie, ou presque. J’ai le sentiment d’être passée par les oubliettes de la vie. Autour de moi j’ai pu constater que les destins étaient multiples, mais quoiqu’il en soit nous sommes tous bien écrasés par cette pandémie.

Beaucoup d’entre nous sont rentrés chez eux. J’ai discuté avec des L1 qui ne reviendront pas, déçus, dégoûtés, fatigués, il y a un peu tous les sentiments qui se mélangent, le vide est difficile à combler pour tout le monde. Ceux qui étaient sous contrat ont pu toucher des indemnités chômage. Ceux qui travaillaient pour subsister, c’était terrible, il n’y avait plus rien. Pour ceux qui vivaient de petits boulots, le néant, plus d’euros pour se payer à manger, la chambre, l’angoisse, la boule dans le ventre tous les jours, avec ces cours en distanciel, devant ton écran le reflet de ton visage, tu te sens laide. Quand tu restes confiné dans 9 mètres carrés, l’anxiété te gagne. La fatigue et la solitude te submergent, tu ne comprends pas ce qui t’arrive, tu es toute seule, comme si la vie n’existait plus, c’est la faim ou l’angoisse qui viennent te dire que tu es toujours vivante.

Aix Marseille Université
Photo Rv Dols

Un matin, ma mère m’a téléphonée, à sa voix j’ai senti qu’il y avait quelque chose, « Nanie s’est éteinte cette nuit », je ne pouvais plus parler, ma mère pleurait dans mon phone, ma tête tournait, l’angoisse, son visage qui me venait, j’ai hurlé. Mes pensées se bousculaient, ces instants d’amour, de tendresse, de câlin que j’ai partagé avec ma grand-mère n’existaient plus, c’est donc ça la vie, je suis seule, sans pouvoir ne rien dire, perdue au fond de cette minuscule chambre, le soleil qui traverse la vitre devient insupportable, il faut que je sorte, il faut que je sorte, il faut que je sorte, c’est plus fort que moi.

J’ai beaucoup pleuré, la douleur qui m’a dévastée s’amplifie quand je repense qu’ils n’ont même pas voulu que j’aille la voir une dernière fois. Elle est partie toute seule, personne pour lui tenir la main, j’aurai voulu l’embrasser une dernière fois, rien ne pourra réparer cette douleur. Le mal est trop fort, tu ne peux plus t’exprimer, comme si quelque chose s’était déchiré dans ton ventre.

Le reconfinement a vraiment été compliqué, tu n’oses pas demander à ta mère quoi que ce soit, elle a déjà des soucis financiers, alors avec ce virus, c’est pire. J’ai les bourses, c’est déjà ça. Je reviendrai l’année prochaine, j’espère pouvoir travailler cet été, je ne veux plus qu’une chose c’est rentrer chez moi. C’est trop vide, c’est trop long ici, je veux prendre ma mère dans mes bras et lui dire que je l’aime.

Un grand merci à l’association vendredi 13, qui nous distribue de quoi manger le samedi matin à l’entrée de l’université ».

MERCI à toi JADE

Claire : claire.fabre@oeilpaca.fr