L'homme à la valise

Sur les quais d'Honfleur (14), flottant dans les airs, un homme de bronze avançait. Le corps déchiré, le regard dirigé sur l'horizon, un voyageur s'empressait de se déplacer là ou l'imagination voulait bien l'emmener. Devant la galerie Bartoux, la sculpture monumentale du Marseillais Bruno Catalano attirait tous les regards. Émilie, la fille de Bruno Catalano nous mit en relation. C'est à Crest dans la Drôme que nous avons rencontré le sculpteur.

Bruno Catalano photo Rv Dols
Photo Rv Dols

Les prémisses

Bruno est le dernier des trois enfants de la famille Catalano. Né au Maroc en 1960, pas très loin de Casablanca. Il a dix ans quand ses parents décident de traverser la Méditerranée, un aller simple en direction de Marseille. Sa scolarité n'est pas vraiment une réussite. Bruno a besoin de mettre les mains dans ce qu'il fait. Il obtient un CAP d'électro-mécanicien et trouve un emploi. Avouant sans détour « Je n'avais rien compris à la vie ». Une jeunesse impatiente, rapidement marié et père. Bruno s’égare. Le sentiment d'avoir mal commencé son existence l'obsédait.

Trentenaire, il décide de donner un sens à sa vie. Convaincu que pour construire quelque chose, il faut se faire un nom, son orgueil lui impose des choix. C'est à cette période qu'il s'initie à l'argile. Bruno suit des cours de modelage dispensés par Françoise Hamel. L'ambition s'instaure, il veut devenir sculpteur. Pour ne pas rester anonyme, il assimile aisément la nécessité de se détacher de la masse. Il s'oriente vers le figuratif. « J'ai l'impression que mon expression artistique sort de mon corps, de ma tête ». Bruno sait que ses modelages doivent être forts, doivent souffrir, doivent suggérer une histoire.

Le Bronze

Le suprême sculptural réside dans la vérité de l'argile. Mais la vulnérabilité de la vie et le vide que génère la mort incitent Bruno à laisser des traces. Le bronze lui ouvre les portes de l’immortalité. Il suit un stage de fonderie. Au début des années 2000, il s'installe dans son nouvel atelier en plein Marseille, en haut des Réformés dans le premier arrondissement. Là, non sans mal, Bruno fond ses premières sculptures. À force d'étude, il prend conscience que le mouvement et l'aplomb de ses personnages donnent de la profondeur à sa création. La valise vient souligner le déracinement, la migration. Le décor est planté, les Juifs, les Arméniens, la diaspora inhérente à Marseille s'identifient aux sculptures de Catalano.

Devant sa table de travail, il passe des heures à modeler des visages. Techniquement, Bruno ne maîtrise pas toutes les subtilités de la cire perdue. « J'étais très mauvais fondeur, les problèmes étaient récurrents ». Au démoulage d'un personnage, il constate l’explosion d'un corps. Pourtant, la réussite du modelé de « Cyrano » exclut la destruction de la pièce. Dans le prolongement du bras, l'artiste soude une valise à une jambe.

Ce corps figé dans les airs attire les regards. Une première vente suscite la réflexion, l'homme aux valises vient de naître. En 2007, la rencontre avec Alexandre Bartoux dynamise la carrière de Bruno Catalano. La reconnaissance prend forme, les séries de douze exemplaires se succèdent, les ventes se multiplient. L'homme aux valises avance sur les Champs Élysée, l'Angleterre, la Russie et les États-Unis.

Je suis prisonnier de mon style, mais je le veux. Je prends un pied formidable à faire du modelage. Le plaisir, je le trouve dans cette discipline. Déchirer, creuser, c'est mon style. Je pourrais faire ça jusqu'à ma mort. La reconnaissance de mon travail me procure une certaine fierté.

Propos recueillis par Rv Dols / photojournaliste@oeilpaca.fr

Catalano

C'est en 2005 qu'une galerie parisienne expose pour la première fois les bronze de Bruno Catalano.

Catalano

Ils représentent des voyageurs qui marchent, une valise à la main. Leurs corps sont en lambeaux.

Catalano

Ouvert au vent et à la lumière, le torse a presque disparu.

Catalano

Pourtant chacun d'eux conserve son équilibre et une certaine cohérence.

Bruno Catalano
Bruno Catalano photo Rv Dols
Catalano Bruno